Résumé :
1969 : Albert Speer, architecte favori et Ministre de l'armement d'Hitler, publie ses Mémoires. Revisitant son passé, de ses mises en scène des congrès nazis à la chute du Reich, il parachève l'ultime métamorphose qui a sauvé sa tête au procès de Nuremberg et va faire de lui la star de la culpabilité allemande. Affirmant n'avoir rien su de la Solution Finale, il se déclare "responsable, mais pas coupable." Les historiens auront beau démontrer qu'il a menti, sa version de lui-même s'imposera toujours. Comment écrire sur un homme qui a rendu la fiction plus séduisante que la vérité ?
Mon avis :
Albert Speer, jeune architecte ambitieux, est principalement connu pour être le visage de la culpabilité « responsable mais pas coupable » du IIIe Reich lors du Procès de Nuremberg et pour avoir écrit ses mémoires (Au cœur du IIIe Reich, Fayard 1971) à sa façon, rendant, ainsi, son parcours plus « neutre » … et c’est précisément cette image qui reste collée à son nom…
Favori d’Hitler dès leur rencontre, fascinés de part et d’autre, il devient vite l’indispensable compagnon du Führer en bâtissant des immeubles, des maquettes, des idées ou en aménageant les lieux des congrès… la « lune de miel » va durer 7 ans (tiens, tiens) … de 1932 à 1939… puis, prenant du galon pour devenir son ministre de l’armement (entre autres) … il se heurte à la guerre, à la machinerie de guerre et à Martin Bormann par exemple (celui qui parle à l’oreille du Führer) et, en sus, le « guide » a changé d’esprit, de volonté, d’envie.
Mais Speer est envoûté, rarement réaliste, mais sa « vision » de l’architecte, son ascension, sa façon d’être l’acteur de l’Histoire et de côtoyer le beau (ses créations, les artistes) et le laid (l’entourage de Hitler, ses sbires qui se tirent dans les pattes), lui offre une certaine lucidité (intéressée) tardive.
Car oui, l’Histoire est écrite par les vainqueurs, et Speer comprend assez vite, dès les premiers revers du Reich, qu’il va falloir se refaire une virginité pour « remettre l’Allemagne sur les rails avec les alliés » …
Jean-Noël Orengo déroule la vie de Speer dans une longue « première » partie, en appuyant sur des moments connus, reportés par les Historiens, les traces laissés et bien sûr Speer lui-même.
Il scénographie le congrès du NSDAP à Nuremberg en 1934, c’est grandiose, même Leni Riefenstahl le dit ! Il explique sa théorie de la valeur des ruines (on croit rêver !) mais se rend compte à Berlin, en 1945, en survolant les ruines de la ville que le temps n’a pas fait son effet pour sa théorie.
A la fois mégalo, artiste, jaloux, mais particulièrement arriviste, Albert Speer apparaît comme un responsable lâche ; il ne faut pas se leurrer, Speer est un salaud…. Et Orengo l’expose bien dans une seconde partie où une historienne incontournable (Gitta Sereny) enfonce le clou dans le joli cercueil que Speer a voulu pour sa légende. Oui, il savait pour la Shoah (ministre de l’armement et de la Production, et il ne savait rien des armes fournies, mais bien sûr !) mais pas tout…
Jean-Noël Orengo démonte doucement, avec cette écriture légère, parfois ironique, et volontairement redondante çà et là, le mythe créé par Speer.
La contre-fiction décidé par Orengo répond à celle de Speer… et montre que l’attraction des deux hommes reflétait surtout leurs deux volontés : l’un aurait voulu être un artiste, l’autre voulait être un homme de pouvoir (sans l’avouer).
Le titre est la première partie d’une réflexion d’un SS… qui se finissait ainsi « c’est pour le meilleur comme le pire, songez-y ! ».
J’ai aimé ce livre à plusieurs niveaux de lecture et qui offre un éclairage sur un menteur, d’une relation, d’un jeu de pouvoir limite à un poker-menteur et qui essaie de rétablir une vérité historique loin des clichés.
Attention, toutefois, l’ambiguïté de ce texte peut déstabiliser ceux qui n’ont pas le bagage suffisant pour dénouer les fils de l’Histoire, la mise en scène architectural de sa vie sous le IIIe Reich et l’impact de Speer.