Après mon mois au standard, j’ai été transférée dans un service
« ouvert au public », en renfort, plus précisément au secrétariat qui
gérait les dossiers de la main d’œuvre étrangère.
Au grand dam de mes collègues du standard qui étaient
« ravis » de mon travail (surtout de ma disponibilité pendant leurs
longues heures syndicales !) !
L’ambiance au 4e étage était différente. Toutes les portes
étaient fermées et on ne croisait ses collègues que 4 ou 5 fois par jour :
à l’arrivée, au photocopieur, au déjeuner, au café et au départ. Chaque
secrétariat était strictement indépendant et le nôtre était au fond du couloir
près d’un escalier dédié au public « Main d’œuvre étrangère ».
Mes deux collègues étaient rassurées de savoir qu’une « petite
main » arrivait pour les soutenir… Elles n’étaient pas très accueillantes
mais ont vite compris une chose : je bossais vite et bien (troisième
commandement de papounet : Tu es là pour bosser pas pour faire du
shopping, donc Tais-toi et bosse).
Ma collègue principale (la chef des secrétaires… enfin la plus
ancienne, qui répétait toute la journée « avec mon ancienneté, je ne vais
quand même pas faire ça ! » et le refilait à notre autre collègue…
qui se déchargeait sur moi !) était là, surtout, pour faire plaisir aux
inspecteurs du travail. Elle ne travaillait pas vraiment, elle vivait sur son
expérience et donc faisait profiter tout le monde de sa science du
« dialogue social » et sa « compassion envers les
étrangers ». Autant le dire tout de suite, je l’ai rarement vu travailler
pendant deux mois. Mais distribuer le boulot, ça oui !
Mon autre collègue était bien plus jeune, aussi expérimentée dans
l’administration, mais était une véritable enclume ! Un boulet.
Gertrude, la plus âgée (NDLR : les prénoms ont été
modifiés !), devait lui répéter trois ou quatre fois les instructions pour
chaque dossier ou chaque intervention. Elle ne notait rien et oubliait dans les
vingt minutes. Aglaé était donc un boulet ! Un gentil boulet, mais un
boulet quand même. Elle faisait partie de cette masse d’agents qui « sont
rentrés par un concours de circonstances » (comme disait Gertrude) et qui
étaient « montés en grade par carte » (carte syndicale, bien
entendu).
Gertrude m’a alors mis le grappin dessus et m’a donné le travail urgent
et un peu plus « intelligent » (dixit la chef) car, une fois les
instructions données, je ne redemandais pas quatre fois et surtout, je me
« démerdais toute seule » (sic).
J’avais donc pour mission de recevoir les travailleurs étrangers, de
remplir un dossier avec eux (la plupart ne sachant pas bien écrit le français),
ou même servir de traducteur ou de nounou (j’ai eu régulièrement des enfants
sur les genoux pendant que leur parent était reçu par l’Inspecteur).
Le dossier était simple mais long. Une vingtaine de minutes et croyez-moi,
vingt minutes avec quelqu’un qui ne sait pas écrire, ni lire et/ou qui ne
comprend pas bien notre langue, c’est long.
En sus, ils oubliaient les papiers importants ou tous les papiers
étaient indéchiffrables en raison d’une langue étrangère. Ma maîtrise de
l’anglais et de l’espagnol, avec mes notions d’italien et de russe, m’a
grandement servi !
Un matin, alors que je pensais être bien intégrée, Gertrude et Aglaé
m’ont demandé de venir les voir dans le local à fournitures. Je n’ai pas pensé
à mal, mais je suis tombée dans un « traquenard administratif ».
- Tu travailles trop vite ! Me lance Gertrude
- Vite et bien, aussi ! Renchérit Aglaé
- Tu vas ralentir le rythme, car la pile de dossiers que tu as faite en
une semaine, ce n’est pas possible ! Nous, après ton départ, on ne suivra
pas le mouvement ! Il faut apprendre à prendre des pauses et surtout à
« déléguer » !
- Déléguer ? Mais à qui ?
Et, cela, je n’y étais pas préparée. J’ai ouvert de grands yeux, et je
l’ai pris pour moi. J’ai pensé que j’étais nullissime et j’ai donc tiré la
gueule toute la journée. Le soir, Gertrude est venue en me remerciant
« pour mon travail du jour, bien mieux que d’habitude ».
Quand j’ai eu le malheur de répéter la conversation à la maison, j’ai
entendu un « c’est bien une attitude de fonctionnaire, ça ! Ralentir
le rythme ! T’as intérêt à ne pas prendre le pli ! ».
J’ai évidemment opiné mais j’ai ralenti la cadence dès le lendemain, me
faisant pour la peine de nouvelles « collègues ». Gertrude et Aglaé
ont, d’ailleurs, grandement aidé à mon renouvellement à la fin de mon contrat
en notant « mon dévouement et ma grande implication dans les tâches
administratives de notre Institution ».
Je suis restée trois mois de plus dans le service avant de partir vers
une annexe de ce service… là, où les travailleurs étrangers venaient passer les
visites médicales pour prétendre à une carte de séjour et de travail…
Migration, donc… mais toujours administration…
Chapitre 2 – L’Administration - Episode 14 « Migration, migration ».
No comments:
Post a Comment
N'hésitez pas... tous les auteurs aiment les commentaires....