Résumé :
Aujourd'hui doyen des Allemands, Heinrich Uffen (personnage fictif) a été, de 1943 à 1945, le cuisinier d'Hitler. A 108 ans, il traîne sa carcasse d'hôpitaux en maisons de retraite, où ses souvenirs le harcèlent. Le monologue intérieur, qui se déploie au long du roman, montre le rapport compliqué, sincère ou complaisant, de Uffen avec son passé ; sa relation d'étrangeté avec l'Allemagne contemporaine ; et son lien de plus en plus ténu avec le réel.
Au fil de ce monologue envoûtant, Uffen multiple contradictions et ambiguïtés : s'il n'a servi Hitler, qu'il traite de monstre ou de diable, qu'à la suite d'un incroyable concours de circonstances, il confesse aussi l'avoir aimé. Il estime n'être pas plus coupable, par exemple, que les cadres subalternes du Parti. Il avoue enfin qu'il a sauvé la vie à Hitler, le 20 juillet 1944, et qu'il s'estime responsable du prolongement de la guerre, avant de regretter que Churchill ait choisi de s'allier à l'URSS plutôt qu'au Reich...
Le contexte
Ma collègue et consœur Dominique Memmi (à qui je dois la lecture de Croix de Cendres et Le pont sur la Drina) m’a dit cet été avoir lu en avant-première ce roman et l’avoir aimé.
Je dois avouer que j’étais intriguée mais qu’un énième roman sur « un proche d’Hitler » ne m’emballait pas ! En sus, le personnage était fictif et son cuistot…
Puis j’ai eu l’occasion d’écouter l’auteur sur un Webinar (Vleel en l’occurrence) et je lui ai donné sa chance…
Non pas que je suis emballée (je maîtrise quand même bien le contexte, la période et le sujet principal !) mais je veux savoir comment il a intégré tout cela !
Mon avis :
Je vais en premier lieu évacuer ce que toute personne lisant cette chronique doit savoir : le roman est agréable à lire, l’écriture est légère et sied à un vieux monsieur de 108 ans qui ne perd pas tant la boule que ça, la documentation a été très bien ajustée et insérée et l’histoire et le contexte pré-30 janvier 1933 de Heinrich Uffen se tiennent de bout en bout.
Voilà, c’est dit !
Alors pourquoi dois-je pointer cela en premier ?
Pour éviter qu’une lecture trop rapide de la chronique puisse faire penser que ce roman ne mérite pas d’être lu !
J’en connais qui lisent en diagonale et qui me disent « je ne l’ai pas lu car j’ai vu que tu n’aimais pas le roman » …
Que nenni ! J’ai, par conséquent, bien aimé ce roman pourtant, comme assez souvent dans ces romans historiques touchant au IIIe Reich, j’en sors sans avoir appris grand-chose (ou quelque chose, ça dépend du roman) … mais surtout sans être surprise notamment par l’attitude de ce sacré Uffen.
Pourtant ce diable d’homme, ancien serveur à la Saucisse d’or, fantassin sans courage mais blessé, essayant de ne jamais se mêler à quoi que ce soit, se retrouve, grâce à des nouilles cuisinées pour Manstein, chef en chef de la (notamment) 8e Panzerdivision, l’un des cuisiniers du Führer… dans son repaire, entre le printemps 43 et la mort du dictateur le 30 avril 1945.
Mais le vieux monsieur n’en a pas fini avec sa conscience qui, en fait, ne lui pèse pas tant que cela. Des remords ? jamais. Des regrets ? oui mais uniquement à cause de Traudt (Junge, la secrétaire personnelle de A.H, veuve et qui, des années plus tard, interviewée, vantait encore les qualités de son Chef). Des envies ? pas d’expier juste de s’émouvoir sur la gentille aide-soignante/infirmière.
Car tout au long de son long soliloque, Heinrich Uffen reste droit dans ses bottes (qu’il a évité de salir d’après lui) … car, lui, simple cuisinier, n’a rien fait de mal… pas comme certains qu’il dénonce pour échapper à un « imbécile d’interrogateur américain ». Il n’hésite pas à pointer les « saloperies » des autres, y compris celles qu’il a vues passer tout au long de sa vie…
Oui, parce qu’il a subi les évènements, il n’a rien fait de répréhensible, et en sus, il était agréable le Chef, et Eva, et les autres aussi !
Coupable, lui ? mais de quoi ? d’avoir cuisiné ?
Pourquoi, lui, devrait être jugé, condamné, abhorré ? Il a fait comme tant d’autres, il a applaudi, sauvé sa peau au détriment des autres… ces pauvres gens mais qu’il ne pouvait pas protéger à lui tout seul… sauf que lui, en déplaçant une mallette, un certain 20 juillet 1944, a aidé le diable pour sauver la peau de son Chef.
Pour ceux qui n’ont jamais entendu un ancien nazi ou SS parler, la fausse repentance de ce vieux monsieur, sympathique, qui n’assume pas tout à fait mais qui est aussi coupable que les autres, peut être troublante et surprenante… Pas pour moi qui ai regardé dans les yeux d’un homme largement plus impliqué qu’Uffen… et qui, lui, ne repentait même pas !
Si le sujet vous intéresse (suffit-il de se repentir pour assumer ou être pardonné ?), le personnage fictif créé par Laurent Saulnier vous apportera de la matière pour réfléchir et regarder différemment les évènements actuels qui, dans notre monde si perturbé, attirent toujours les extrêmes et le silence de la masse…



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