Saturday, March 01, 2025

L’étrangère aux yeux bleus de Iouri Rykthèou - retour de lecture

 

Résumé :

Une jeune ethnographe russe débarque en 1947 à Ouelen, petit village au bord du détroit de Béring, dans le but de nomadiser dans la toundra avec une tribu tchouktche d’éleveurs de rennes. Séduite et fascinée par un jeune Tchouktche rencontré dès son arrivée, elle l’épouse et part vivre avec lui au sein de sa tribu…

Roman d’amour pour un peuple à jamais perdu, destin fascinant d’une scientifique rattrapée par sa passion, constat lucide et sans concession des absurdités de l’histoire, ce livre d’un écrivain tchouktche aux prises avec sa mémoire est un véritable plaidoyer spirituel pour les derniers chamanistes.

Mon avis :

Anna, jeune anthropologue russe, issue de Leningrad, universitaire, passionnée par les us et coutumes de Tchouktches, débarque à Ouelen, ville côtière en bordure du détroit de Béring, en plein territoire Tchouktche. Ambitieuse, prête à tout pour surpasser son héroïne Magaret Meads qui a œuvré sur les îles Samoa, elle décide de s’infiltrer dans une famille afin d’étudier au plus près ce peuple éleveur de rennes, d’affiner sa connaissance de la langue, de leur folklore, de leurs manières de vivre, penser, survivre, etc.

Anna est belle (et le sait !), ses yeux bleu ciel hypnotique, sa chevelure dorée et sa détermination font d’elle une fascination immédiate. Quand, à peine arrivée, elle rencontre Tanat, jeune Tchouktche, fils d’un chaman, éleveur nomade, prêt à aller étudier ailleurs, tombé sous son charme, elle le convint de l’épouser et de repartir vite chez les siens, avec elle. 

Anna rencontre ainsi Rinto, le père heureux de voir revenir son cadet, sa belle-mère qui se méfie de cette tanguitan (étrangère) et l’ensemble de la famille. Pour l’épouser, Tanat a rompu la promesse de mariage avec Katia, issu de son peuple, et destinés l’un à l’autre lors de l’enfance et surtout abandonné ses rêves d’études et d’ailleurs. Mais il est subjugué.

Anna s’adapte, étudie, endure tout… tout pourvu qu’elle puisse coucher sur le papier ses pensées, ses conclusions, ses interrogations. L’auteur nous distille de temps en temps ce journal de bord et nous fait entrer dans la tête de cette ambitieuse manipulatrice ! 

Alors que les bolchéviks imposent leur kolkhoze et la dékoulakisation, la famille soupçonne Anna de vous les rallier à la cause soviétique. Pourtant au fil des mois, elle supporte (le rite de passage au chamanisme et ce viol consenti pour savoir le pouvoir du chaman) et se fond dans le décor : fait un enfant, accepte une deuxième épouse (la fameuse Katia), principalement pour étudier les mœurs sexuelles comme Meads, pour la surpasser (Anna insiste souvent sur ce point et notamment sa volonté de repartir à Léningrad auréolée de gloire !). Et quand un bolchévik, Atata, débarque et s’éprend d’Anna, elle y voit une autre possibilité d’étude !

Ce roman, particulièrement bien documenté (l’auteur est issu dudit peuple et son père était chaman) nous plonge dans la rudesse de cette vie nomade mais libre, avec une intelligence de l’adaptation perpétuée sur des générations. Ces peuplades ont été sacrifiés lors des guerres, du progrès et du communisme à outrance. 

Les descriptions des personnages, du paysage, des rites, la neige, du froid, de l’habillement, et de cette toundra, du permafrost, des fleurs, de la renaissance au printemps, des rennes, du chaman, et de tous les autres besoins, sont magnifiques !

L’humanité et le sens pratique pour survivre à des froids polaires, à l’hostilité des lieux, font de ce peuple (et des autres), un exemple incroyable de d’adaptabilité de l’homme à la nature et non l’inverse.

Pourtant, malgré toute la beauté de la plume, les détails, les moments plus sombres ou révoltants, il reste la personnalité d’Anna !

Je pense à l’avoir traitée de « belle salope, d’arriviste, de méchante manipulatrice » … Elle utilise, use et abuse de son pouvoir de séduction pour soumettre Tanat (et les autres) à sa volonté, étudie ses proches comme des bêtes de foire, s’impose de vivre comme eux pour illustrer et agrémenter ses recherches, tout en rêvant de gloire, de retour à l’université et son orgueil est sans limite.

Une sorte de mante religieuse qui avale et recrache les hommes pour mieux atteindre son but… et s’élever dans la société (très russe).

Un personnage fascinant mais qui m’a profondément énervé mais qui possède aussi des élans de tendresse et d’amour (envers sa fille) pourtant j’ai eu de la peine pour Tanat, Katia, et Atata, manipulés… 

Très beau texte en définitive que je vous invite à découvrir, si cela n’est pas déjà fait ! 

No comments:

Post a Comment

N'hésitez pas... tous les auteurs aiment les commentaires....

Newsletters !

Les Archives

Le blog d'une ItemLiz Girl