Parmi les fades activités du standard, il y avait celle que mon binôme
appelait « les chieurs du jour ». Gérard avait un cahier (enfin, dix
cahiers pour être précis) où il consignait les « évènements majeurs du
standard », à savoir les histoires entendues au téléphone.
Il me confia un matin le « cahier bis » où tout le monde
pouvait noter ses histoires « drôles » (ou pas). Quand il me l’a tendu,
j’ai su que j’étais acceptée par l’équipe (confie-t-on les clés de sa maison à
un inconnu ?) !
Mon premier écrit est intervenu deux jours après ma prise de fonction.
Un homme m’appelle vers 8h30, agacé de ne pouvoir joindre personne « dans
cette administration de merde » depuis « 7h10 ! ». Je lui
indiquai alors que le standard et les bureaux étaient ouverts de 8h15 à 16h15
(horaires pour le public) avec une pause « de 12h à 13h ». Il a commencé
à me raconter sa vie de militaire, que « de son temps, cela ne se passait
pas comme cela », que lui « Directeur, ça chauffe pour mon
matricule », que j’étais une « fonctionnaire débile et trop
payée » et qu’il voulait avoir un « inspecteur du travail, pas une
inspectrice, car elles sont nulles ! » immédiatement. Je lui ai donc
demandé, en suivant le protocole établi, son arrondissement, celui de son
éventuel employeur ou employé, et l’objet de son appel.
Je crois que mon binôme a parfaitement entendu sa réponse :
« Je ne parle pas aux demeurés du standard, pétasse ! ». Gérard
m’a regardée et m’a fait signe de ne pas répondre et de raccrocher. J’ai hésité
(on ne raccroche pas au nez du public – deuxième commandement de papounet),
mais Gérard lui-même a coupé la ligne de la plateforme principale.
- C’est sûrement le militaire de Tataouine !? M’a-t-il lancé hilare.
Tu commences bien, petite !
- Vous l’avez déjà eu, celui-là ?
- Oui, page 4 de mon cahier 5, je vais te montrer.
Et le voilà qui me déballe TOUS les cahiers, et me les fait parcourir
avec de la bave aux lèvres. 30 ans de travail, de pulsion meurtrière envers le
public et sûrement ces collègues de travail rassemblés dans des petits cahiers
à spirales, cela force l’admiration (enfin, cela frôle surtout la
folie !). Je découvre des perles des années 80 et les fleurs griffonnées
« par une stagiaire un peu gogol » ou la déclaration d’amour de son
« ex-con de femme ».
Je note donc mon appel surréaliste « mais banal, mon chou »
et continue ma journée… Et là, le chieur rappelle et rappelle encore. Il a
appelé 10 fois dans la matinée, soit pour insulter l’administration, soit pour
dire qu’il connaissait « personnellement, moi, Mademoiselle ! »
le Ministre (au 7e appel, c’était le Président de la
République himself !) ou tout simplement pour m’insulter. Gérard a
finalement (vers 14h30) pris l’appel et lui a signifié que ses appels étaient
enregistrés (faux) et qu’il devait arrêter d’insulter une « pauvrette
stagiaire ayant une carte Cotorep ».
- Cela marche à tous les coups ! Les gens ont honte d’insulter un
« handicapé » ! Me balance Gérard en notant scrupuleusement les
nouveaux propos du « militaire de Tataouine ».
Après cette journée, j’ai commencé à consigner moi-même les évènements…
Ce qui explique que j’ai matière à faire quelques épisodes de plus !!
Folie administrative quand tu nous tiens….
Chapitre 2 – l’Administration – Episode 12 « Moi, le courrier
confidentiel et les syndicalistes pas maison ! ».
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